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Le Maître de La-Tour-du-Pin
Le texte que j’avais composé pour le dos de ce livre en 1985 commence ainsi : « Le Maître de La Tour-du-Pin, une fiction ? L’histoire de l’art méconnaît, fut-ce sous un nom auxiliaire, le peintre qui prend la parole dans ce livre. Ses traces sont effacées. Il n’existe pas. » Et un peu plus loin : « Mais le triptyque existe ! Indéniablement. Dans l’église. Un panneau du Syndicat d’Initiative le prouve … »
C’était mon premier roman. J’avais abandonné une carrière d’historien d’art universitaire pour devenir romancier ; mais mon roman était une façon d’histoire d’art. Peut-être on dira que c’était ma revanche de l’imaginaire sur l’histoire. Je voulais prouver que l’imaginaire rende la vérité mieux que l’étude des archives (qui pour ce tableau avaient dû disparaître). Quelle vérité ? Celle de l’artiste, sans doute, qui travaille lui-même avec son imaginaire. Mais pour que l’imaginaire ait son fondement, son travail devait être un rapprochement de la réalité. Et mon roman n’était rien que la lecture de cet objet concret que j’avais sous les yeux. Je croyais ainsi servir … l’histoire, dont je savais qu’elle ne s’écrivait jamais sans une grande touche d’imaginaire, non reconnue par le public. Et en effet, le livre a servi l’histoire. Il a aidé dans le sauvetage matériel du triptyque qui souffrait de l’indifférence et de l’ignorance du peuple ; il l’a sorti de l’anonymat.
Mon idée de départ avait été un petit manuscrit pour les pauvres professeurs du lycée de la petite ville qui devaient présenter le retable à leurs élèves. J’avais remarqué leur impuissance in situ. Ils n’avaient que le mot de Renaissance dans la bouche, dont ils ne connaissaient pas non plus le sens. Ce récit pour lycéens, je le voulais très court. De mon côté j’avais peu de temps avant leurs examens. C’est ce qui m’a sauvé. Je n’avais pas le temps d’y mettre autre chose que la sobre expérience de ma propre vie encadrant une œuvre de 1541 . L’écriture devenait personnelle, car je n’avais rien que moi-même.
Et un jour, des années plus tard, lorsque le triptyque revenait de Paris dans la ville, après sa première grande restauration, initiée grâce au roman, et le maire me demandait d’organiser une célébration dans l’église, avec musique et danse et poésie, et qu’il y avait beaucoup de monde et de silence quand je finissais par lire la première page du roman, « appelez-moi Maître », il m’écrivit un mot de remerciements, disant qu’il savait, que tous savaient qui était le vrai Maître de La Tour-du-Pin. C’est cela l’imaginaire.

